
Bunker du bout du-monde, Verdon Sur Mer (2017)
Le sanctuaire des dunes
Performance et prospective à propos d’un bunker et de l’érosion du littoral
2017 — 2018 | Avec la complicité de Marion Delval, Samantha Mary et Laurent Dubos
D’un bunker au sanctuaire ?
À l’extrémité nord du département de la Gironde se trouve la commune de Verdon-Sur-Mer. Cette ville et son port marque le passage entre le fleuve et l’océan. C’est une position stratégique qui lui vaut un passé militaire important. Sur la dernière dune de sable avant que la terre ne se jette dans l’océan se situe le bunker du bout-du-monde.
Ce bunker du bout-du-monde, a protégé l’entrée de l’estuaire de la Gironde pendant la seconde Guerre Mondiale. Les soldats allemands ont été postés sur « le mur de l’Atlantique » pour patienter des journées entières en scrutant l’horizon. Tout ce temps pour attendre une tâche dans la brume, une ombre dans le ciel … qui sait, ils ont juste attendu quelque chose. Le regard s’engouffre dans l’horizon et l’esprit se perd dans les pensées. La patience de ces soldats fait oublier le temps de la guerre, il se dégage une beauté, loin des champs de bataille de ces gens si pressés de dominer. Désormais, ce sont les pêcheurs qui s’installent sur cette plage. Elle est tantôt immense à marée basse, d’autre fois minuscule à marée haute. Ils plantent leurs cannes à pêche dans le sable, une petite chaise pliable à côté d’eux, une caissette de matériel à leurs pieds. Ils prennent la relève des soldats. Ils attendent, scrutant, encore, cet horizon. La concentration du pêcheur l’entraîne dans ses pensées. C’est un temps pour prendre du recul sur le monde et observer ce qu’il reste de paisible, ici, au bout-du-monde. Il s’opère un moment d’attente au sein de ce lieu. C’est un temps où l’on se retrouve confronté à une terrible beauté. Nous faisons face à une nature magnifique et qui pourtant, porte en elle les catastrophes et les ravages des changements climatiques. L’océan avale les plages, les eaux s’élèvent et nous regardons un paysage qui se meut et plus jamais ne sera semblable. En gravissant cette dune de sable, nous entrons dans un sanctuaire et nous guettons un futur qui s’annonce malheureux.
Une fiction prospective des changements climatiques à venir
Aujourd’hui, ce bunker est un peu comme les changements climatiques. Tout deux, sont présents face à nous, et semblent pourtant ignorés. Pour que le bunker du Verdon-sur-Mer devienne un sanctuaire, il faut d’abord le rendre visible et intelligible. Par une affiche collée sur un mur du bunker je dépose ici un manifeste contre l’impatience. J’invite ceux qui passent par là, une prise de conscience sur les problèmes environnementaux. Je met à la vue de tous une double chronologie : l’évolution depuis le début du 20e siècle de notre impatience face aux technologies et les moments importants de la lutte contre les changements climatiques. Un dernier niveau de lecture sur ce poster propose aux spectateurs d’entreprendre une action simple. Il s’agit de gravir la dune, de profiter du temps présent et d’observer le paysage océanique. Par le paysage, je propose de prendre conscience des événements climatiques, les rendant perceptibles et lisibles pour tous.
Dix années après que le bunker devienne un sanctuaire parmi les dunes, les catastrophes climatiques n’ont pas cessé. Au contraire, les tempêtes dévastatrices sont de plus en plus présentes, les côtes continuent de s’éroder et les digues ne retiennent plus les eaux lors des crues. Mais ce temps écoulé permet à chacun de profiter du sanctuaire et d’enrichir la prise de conscience face aux déluges. Les visiteurs sont variés : des habitants du Verdon-Sur-Mer ou des communes alentour ; des touristes de passage dans le Médoc que le bouche à oreille ou les sensibilités à l’environnement attirent vers la pointe de Grave ; de véritables pèlerins du sanctuaire, convaincu par ce lieu et qui souhaitent profiter des paysages, avant qu’ils aient disparues. Toutes ces personnes qui prennent le temps de patienter dans ce sanctuaire fabriquent une multitude de rituels, différents et personnels. Il dépend à chacun de trouver sa manière de prendre son temps.
Le sanctuaire des dunes, par sa qualité emblématique entre l’estuaire et l’océan, fait désormais l’objet d’un observatoire des paysages. Il construit grâce à des archives photographiques, sur un même emplacement et à un rythme régulier. Ainsi les images diachroniques révèlent les transformations en cours et l’évolution des paysages. Mais ce n’est pas uniquement la succession photographique qui révèle les catastrophes climatiques en cours. Le bunker devient la trace matérielle par l’inscription des hauteurs de crues sur les murs de béton, années après années. La succession de mesure permet de rendre intelligible les événements environnementaux qui s’accélèrent. Ces chiffres sur le mur forment un mémorial pour la planète. Les années qui s’écrivent les unes après les autres sont un compte à rebours avant qu’il ne soit trop tard pour se souvenir des paysages d’antan.
Cinquante années après, le sanctuaire des dunes et l’observatoire des paysages aboutit à une fin tragique mais à-priori inévitable. La pointe de Grave ne peut pas résister indéfiniment aux déchaînements climatiques et aux tempêtes qui ravagent de plus en plus le Verdon-Sur-Mer. C’est la disparition à plus ou moins long terme du bunker et du sanctuaire qu’il incarne. L’océan finira par emporter ce qu’il reste de ces blocs de béton et petit à petit la pointe de Grave deviendra presqu’île, puis archipel, avant de n’être qu’un souvenir. Néanmoins le sanctuaire des dunes ne sera pas uniquement un souvenir sur les cartes. Il laissera une trace dans la mémoires des passants et des visiteurs qui ont su profiter de ce lieu et de ses qualités.
Pendant une cinquante d’année, ce projet ne s’est pas contenté d’entretenir une image d’Épinal d’un environnement aux tendances catastrophiques. Il a accompagné une résilience des souvenirs face aux bouleversements climatiques inévitables. Même si le sanctuaire disparaît, ce sont les souvenirs et la conscience environnementale que les individus ont développé en son sein, qui est primordiale. Ce projet permet d’accueillir sans peine les transformations irréversibles de nos territoires au siècle du développement durable et du respect de l’environnement.